Elie Bouhereau,un médecin érudit rochelais réfugié en Irlande. (Lettre 69)

par Christiane Guttinger

Nombreux furent les protestants charentais contraints de s’exiler pour vivre librement leur foi au XVIIe siècle. Le parcours d’Elie Bouhéreau, est particulièrement intéressant, associé à une précieuse documentation, un journal7 et une abondante correspondance.

Fils unique d’un pasteur réformé portant le même nom8, Elie Bouhéreau nait à la Rochelle en 1643. Sa mère, Blandine Richard, prématurément veuve, possédait des marais salants à Saint-Martin en Ré, ce qui lui assurait une certaine aisance et permit à Elie de faire ses études à l’Académie protestante de Saumur,

Se destinant tout d’abord à devenir pasteur, il suit les cours de rhétorique, lettres classiques, philosophie, logique et, pour la théologie, est l’élève de Moïse Amirault, un des théologiens les plus réputés de l’époque.

Il entretient dès lors des relations épistolières avec des érudits réformés, parmi lesquels Valentin Conrart, à qui Richelieu demanda de rédiger les statuts de l’Académie française dont il fut le 1er secrétaire, avec des pasteurs de Genève9 ; et le pasteur-poète Laurent Drelincourt, fils de Charles, pasteur à Charenton.


Lors de séjours parisiens, il fait des achats10 chez les libraires et fréquente la communauté du temple de Charenton. Sortant de Saumur, il bifurque vers la médecine et obtient son diplôme à Orange en 1667, faisant la même année un tour d’Italie et un séjour à Rome avec son cousin Elie Richard, également médecin.
En 1669, il épouse sa cousine, Marie Massiot qui lui donnera dix enfants, et revient s’établir à La Rochelle. Exclu du collège de médecine en 1683, comme deux autres coreligionnaires, il prétexte la vente de sa bibliothèque pour la transférer en Angleterre par la valise diplomatique de l’ambassadeur, puis s’y réfugie avec sa femme et ses enfants.

En Angleterre, il entre tout de suite en relation avec des personnages importants. Il sera le tuteur des enfants de la duchesse de Monmouth, puis, en tant que secrétaire, accompagne une mission diplomatique en Piémont menée par Sir Thomas Cox et le huguenot Henri de Massue de Ruvigny, émigré en Irlande. Présenté à l’archevêque anglican de Dublin, Narcissus Marsh, il devient le premier conservateur de sa bibliothèque à laquelle il adjoindra (en 1714) la sienne ainsi que les archives du consistoire de La Rochelle qui furent rendues en 1862.

Mort en 1719, il est enterré dans la cathédrale Saint-Patrick de Dublin devenu lieu de culte huguenot.
Photo de l'interieur de la bibliotheque MarshLa bibliothèque Marsh élevée par son fondateur en 1701, est la 1ère bibliothèque publique d’Irlande, ouverte au public depuis 1707 ; elle accueille toujours étudiants et chercheurs dans les locaux qui ont gardé leur disposition d’origine. Y sont ainsi conservés les 2000 livres de la bibliothèque personnelle d’Elie Bouhéreau dont il avait lui-même établi le catalogue, son Journal, une abondante correspondance d’environ 1250 lettres reçues de 150 correspondants, dont beaucoup encore apposées de leur sceau de cire, des copies de réponses, ainsi que 150 prescriptions médicales.
Témoignages directs des conditions de vie des protestants français dans les années précédant la Révocation, ces documents exceptionnels furent ainsi utilisés, dès la fin du XVIIe s, par Elie Benoît (réfugié à Delft.) pour la publication, d’une première Histoire de l’Edit de Nantes11.

 

(Chronique des Amitiés huguenotes internationales diffusée à la fin de l’émission SOLAE, sur France-Culture, le dimanche 8 mai 2022, à 8h55)

7 Le Journal ne fut acquis qu’en 1915 par la bibliothèque Marsh auprès d’un libraire, en Angleterre.
8 Prénom que portera encore le fils de l’érudit qui retournera d’Irlande faire des études à Saumur, interrompues par la fermeture de l’Académie en 1685
9 Dont Jean-Robert Chouet
10 D’auteurs contemporains tels que La Rochefoucauld, Molière, Bussy-Rabutin, Racine, Pascal (Les Provinciales),a Fontaine, Boileau
11 Histoire de l’édit de Nantes, Delft, 1693 et 1695, 5 part, in-4° ; trad. en anglais, Londres, 1693, in-4°, et en flamand, Amsterdam, 1696, 2 vol. in-fol.

 

Bibl. :
Ruth Wheland, « Elie Bouhéreau, first public librarian in Ireland », Proceedings of The Huguenot Society of Great Britain and Ireland, vol. 27, no 4, 2001, p. 543-560.
Ruth Whelan, La correspondance d’Élie Bouhéreau (1643-1719) : les années folâtres, Littératures classiques 2010/1 (N° 71), p. 91 à 112
Clément Dussart, rapport de stage effectué pour l’Ecole des Chartes en 2018, à la Marsh’s Library, Dublin (en ligne)

 

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