Alpinisme et protestantisme (Lettre 72)

par Thierry Rousset

« L’admiration de la montagne est une invention du protestantisme » écrit André Gide dans son Journal (27 janvier 1912).

Rien d’étonnant que les protestants regardent vers la montagne, tellement présente dans la Bible, depuis l’arche de Noé échouant sur une montagne, la révélation des tables de la Loi à Moise au Sinai, Elie au mont Horeb, Sion la montagne du Temple, les épisodes clé de la vie du Christ : les Béatitudes, l’arrestation au Mont des Oliviers, la crucifixion, la Transfiguration.

Les Alpes occidentales ont un lien historique avec le protestantisme, en Suisse bien sûr, en France, où le calvinisme se diffuse largement dans le Dauphiné sous l’impulsion de Farel, dans le piémont italien. Alexis Muston en 1851 rend hommage à l’épopée des Vaudois du Piémont dans L’Israel des Alpes : première histoire complète des vaudois du Piémont  et de leurs colonies. Lors de la Glorieuse Rentrée, en 1689, les Vaudois réfugiés à Genève, parcourent 200 km jusqu’ à Torre Pellice via le Mont Cenis. Aujourd’hui les randonneurs aguerris parcourent le sentier international des huguenots français et des vaudois italiens, à travers 4 pays : la Suisse, l’Italie, l’Allemagne et la France.

Monument élevé à Chamonix à Saussure et Balmat.L’alpinisme trouve sa source en Suisse ; le naturaliste Conrad Gessner (1515-1565), neveu du Réformateur Zwingli, publie en 1541 le 1er livre consacré à la description d’une montagne, le mont Pilate ; un autre zurichois, lié à Gessner, le pasteur Josias Simmler (1530-1576) écrit le premier ouvrage consacré à la description des Alpes en 1574 (De Alpibus Commentarius). En 1779 le genevois Horace Bénédict de Saussure publie la relation de son 1er Voyage dans les Alpes.

Cette passion exploratrice donne lieu à la conquête du Mont blanc. Si les chamoniards Balmat et Paccard, les 1ers à gravir le Mont Blanc le 8 août 1786 ne sont pas protestants, l’expédition a été patronnée par deux protestants genevois, Horace Bénédict de Saussure Théodore Bourrit, par ailleurs chantre à la cathédrale de Genève.

Le 1er club alpin lui est, fondé par des protestants anglais en 1857. 1ere de couverture ur WAB Coolidge.C’est ce qui fait dire à l’historien Philippe Joutard que l’alpinisme comme une invention protestante. Dans le nombreux sillage de ces ascensionnistes protestants, un symbole en est le pasteur anglican Coolidge qui effectue plus de 1700 ascensions et donne son nom au pic Coolidge.

 

 

Nombreux sont les explorateurs voyageurs et écrivains de culture protestante à exalter la montagne : Jean-Jacques Rousseau, Alexandra David Neel, Ella Maillart pour ne citer que les francophones, sans oublier Johanna Spyri, la créatrice de Heidi, imprégnée de piétisme.

Le rapport protestant à la montagne puise sa source dans la curiosité scientifique, selon la grande tradition des protestants géographes et explorateurs et incarne une éthique de vie par le dépassement de soi, la sobriété et l’esprit de corps propres à l’ascèse calviniste.

 

(Chronique des Amitiés huguenotes internationales diffusée à la fin de l’émission SOLAE, sur France-Culture, le dimanche 10 mars 2024, à 8h55)

 

Pour aller plus loin :

– Horace Benedict de Saussure (1740-1799), Premières ascensions au Mont-Blanc, 1774-1787, Editions La Découverte, https://www.editionsladecouverte.fr ›.

 

1ere de couverture : dessin coloré de Heidi gardant ses chèvres.Heidi, La merveilleuse histoire d’une fille de la montagne, réédition Flammarion 1950, des romans de Johanna Spyri (1827-1901), femme de lettres suisse alémanique, créatrice de cette héroïne dans deux romans publiés en 1880 et 1881 qui connurent un succès mondial de la littérature jeunesse, traduit en plus de 50 langues.

 

 

 

Si les Suisses protestants ont été les pionniers de l’Alpinisme, les Pyrénéïstes protestants ont partagé cet enthousiasme pour la haute montagne au XIXe siècle, sujet d’une chronique de Gabrielle Cadier diffusée sur France-Culture le 6 octobre 2013 (Voir sur le site www.huguenots.fr)

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