Le siècle d’or néerlandais au travers de la gravure, une visée politique? (Lettre 72)

par Christiane Guttinger

1ere de couverture Trésors Noir et Blanc.

1ere de couverture Rembrandt et la Bible. Sur fond bleu.1ere de couverture Par delà Rembrandt.

De récentes expositions de gravures, « Trésors en noir et blanc» au Petit-Palais à Paris[1], « Par delà Rembrandt. Estampes néerlandaises du Siècle d’or » à Chantilly, «Rembrandt et la Bible. Gravure divine»  au Musée international de la Réforme à Genève, nous conduisent à envisager cet art de la gravure sous un jour dépassant ses valeurs esthétiques et religieuses par une visée politique.

Affirmation du protestantisme aux Pays-Bas : Rembrandt tire une grande partie de son inspiration de la Bible, renouvelant les codes fixés par les artistes catholiques. Il traite d’épisodes inédits, accompagnés du texte biblique correspondant, alliant image et lecture. Sa vision est très humaniste, réaliste et désacralisée, évoquant des scènes de la vie quotidienne, loin de l’idéalisme suave des Italiens. Une lumière émane des représentations du Christ et nativités, mais les protagonistes ne sont pas ceints d’une auréole.

L’exposition d’estampes néerlandaises au musée Condé de Chantilly insistait sur l’expression de la volonté politique de la jeune nation des Pays-Bas qui, à la fin du XVIe et début du XVIIe siècle, affirme son existence dans les milieux artistique comme dans celui des lettres et des sciences. Le catalogue[2] explicite que le terme de « Siècle d’or » n’est pas le fait d’historiens d’art mais une formule utilisée dès le XVIIe siècle par les néerlandais conscients de vivre un développement économique qui les « hisse brièvement au rang de 1ère puissance commerciale du monde ». A l’issue de guerres, la monarchie espagnole reconnait en 1648 l’indépendance des Provinces-Unies qui s’affirment alors comme une nation en majorité protestante s’opposant aux Flandres catholiques sous domination espagnole.

Golzius met en scène de jeunes soldats dans des positions avantageuses, Bernard Picard gravera et diffusera la suite « Soldats et chevaux » d’après les dessins de Théodore Maas.

Le graveur et peintre Reiner Nooms, dit Zeeman, exalte la suprématie maritime, le développement des Compagnies néerlandaises des Indes orientales (VOC) et occidentales (GWC) qui implantent des comptoirs partout dans le monde.

Le portrait, largement diffusées par la gravure, témoigne de l’émergence d’une classe ascendante d’intellectuels et de marchands, qui se font portraiturer par de grands artistes comme Hendrick Golzius, Rembrandt, et Anton van Dyck. Une mise en valeur des métiers annonce l’affichette publicitaire : il est amusant de voir ainsi mis en scène par Cornelis Visscher un prospère marchand de mort-aux-rats exhibant son produit, escorté d’un jeune assistant qui, tel un page tenant le parasol d’un monarque,  tient un mat surmonté d’une cage grouillant de rats à laquelle sont pendus ses trophées morts !

Les artistes font ainsi la promotion d’un pays où il fait bon vivre, idéalisant la figure d’élégants bergers et bergères enrubannés flirtant en gardant des vaches et moutons libres d’entraves. Fêtes de village, scènes champêtres et courtoises concourent à donner l’image d’une joie de vivre populaire.

Les réseaux de diffusion des estampes utilisent les circuits du livre mais aussi ceux des marchands graveurs d’estampes, des galeries et des ateliers d’artistes qui vont mutuellement s’influencer depuis la Suisse, la Hollande et Allemagne. Leur diffusion est facilitée par le coût modéré des tirages multiples liés aux deux techniques du burin et de l’eau forte : le goût de l’estampe se répand dans un large public ne se limitant plus aux classes d’élite, et pénètre la moyenne bourgeoisie, les intérieurs modestes.

Alors que l’image pieuse, sacrée et bénie garnit les demeures catholiques, les protestants apprécièrent particulièrement ces gravures hollandaises, vecteurs d’une nouvelle imagerie qui ouvre la voie à une production française désacralisée proposée par des artistes réformés comme Abraham Bosse, ou Tortorel et Perissin qui rendent un témoignage historique dénonciateur. Henri IV sut bien utiliser cette force visuelle pour sa propagande contre la Ligue et conquérir l’opinion par l’image d’un roi doté d’une force comparable à celle d’Hercule et de roi bon vivant, proche du peuple

(Chronique des Amitiés huguenotes internationales diffusée à la fin de l’émission SOLAE, sur France-Culture, le dimanche 14 avril 2024, à 8h55)

 

[1] Le Petit-Palais détient un bel ensemble de gravures issues de la collection Duthuit, ainsi qu’une collection de gravures modernes de son musée de l’Estampe moderne inauguré en 1908.

[2] Baptiste Roelly, catalogue de l’exposition.

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