Le péril du patrimoine Funéraire national

Ceux d’entre vous qui pénètrent parfois dans les cimetières n’auront pas manqué de relever les multiples contrastes qui différencient les monuments funéraires anciens de ceux apposés de nos jours. D’un côté des matériaux régionaux aux teintes chaudes, de l’autre la froideur du granit. D’un côté des monuments fortement personnalisés, enrichis par de nombreux symboles, œuvres d’art à part entière, de l’autre des monuments stéréotypés. D’un côté des monuments s’élevant vers le ciel, supports à de longues et pathétiques épitaphes, de l’autre des monuments presque anonymes jonchant le sol.

Rares sont les monuments antérieurs aux premières décennies du XIXe siècle. Jusqu’à la Révolution, ceux qui en avaient les moyens se faisaient inhumer à l’intérieur des lieux de culte. L’ordonnance royale du 6 décembre 1843 généralise la possibilité d’acquérir une concession perpétuelle. Un véritable mouvement de démocratisation et de popularisation des monuments funéraires se développe alors. Le Siècle romantique voit ainsi naître une forme avancée de « culte » familial des morts et des tombeaux.

Les monuments qui ont su résister aux aléas climatiques et aux bombardements sont aujourd’hui menacés par le manque chronique de place dans les cimetières. Chaque année, le printemps voit fleurir les petits panonceaux qui précèdent la reprise de certaines concessions. Nombreux sont alors ceux qui cèdent aux nouvelles modes funéraires et apposent des monuments qui demandent moins d’entretien. Les législateurs, quand ils autorisent en 1924 la reprise des concessions perpétuelles abandonnées, prévoient : « des règles spéciales à la reprise des concessions dont la conservation présente un intérêt d’art ou d’histoire local » . Malheureusement, rien n’est fait et les dérives sont nombreuses. En 1987, quand une nouvelle loi rend caduc cet article protecteur, un arrêté préfectoral institue pour chaque département une Commission des sépultures chargée de l’inventaire des tombes présentant un intérêt d’art ou d’histoire . Aucune suite n’est donnée.

Bien que nos connaissances des anciennes civilisations proviennent très largement des découvertes archéologiques réalisées dans d’anciennes nécropoles, les monuments funéraires de nos cimetières, « glorieuses archives du genre humain » , n’ont pas été jusqu’à présent une source importante et privilégiée pour la compréhension de notre société. Les monuments sépulcraux portent les traces d’un art funéraire tombé en désuétude. Ils témoignent de particularismes locaux à présent disparus. Ils présentent de multiples symboles aujourd’hui incompris. Ils sont les témoins des sacrifices consentis par nos ancêtres. Les généalogistes, qui parcourent les cimetières à la recherche des tombes de leurs aïeux, ne s’y trompent pas. Ces monuments sont les dernières bornes de la mémoire de tous ceux qui, chacun selon sa profession et ses possibilités, ont contribué à faire de nos villes et villages ce qu’ils sont. A ce titre, ils méritent mieux que le sort qui leur est réservé . Nous nous devons de les prendre en considération car dans la pensée de ceux qui se sont sacrifiés pour les payer, ils devaient demeurer à perpétuité. La Société pour la Protection du Patrimoine et de l’Esthétique de la France (SPPEF), forte d’une législation sur les sépultures peu respectée, s’attelle à cette tâche depuis quatre ans en organisant des manifestations de sensibilisation des différentes parties prenantes en matière de cimetières et de monuments funéraires : que ce soient les administrations locales, les marbriers, le ministère de la Culture ou bien encore les sociétés savantes. L’objectif est de susciter des inventaires qui nous permettront de définir des typologies de monuments susceptibles d’être préservés. L’Alsace est en pointe pour toutes ces questions grâce notamment aux travaux du professeur Bernard Vogler de l’Institut d’histoire d’Alsace de Strasbourg, travaux relayés par la Fédération des sociétés d’histoire et d’archéologie d’Alsace. A titre d’exemple, le cimetière de Mulhouse vient de faire l’objet d’une protection au titre des Monuments historiques .

La Vendée, de son côté, achève son inventaire départemental des sépultures. Pour toutes ces questions, la SPPEF a réalisé des fiches méthodologiques et juridiques. Elle se tient à la disposition de ceux qui souhaiteraient bénéficier d’informations et de conseils.

La destruction des monuments funéraires croît de façon exceptionnelle et sera responsable dans un avenir proche de la disparition de ces témoins d’un autre temps si rien n’est entrepris. Aujourd’hui déjà, il ne reste que peu de monuments susceptibles d’être sauvegardés.

(Emission du Comité Protestant des Amitiés Françaises à l’Etranger, diffusée le dimanche 4 avril 2004 à 8 h 25, sur France-Culture.).

Une émission plus spécifiquement consacrée aux cimetières protestants sera programmée dans les mois à venir.

par Frédéric THEBAULT, Commission « cimetières – lieux de mémoire » de la SPPEF (Société pour la Protection du Patrimoine et de l’Esthétique de la France : 39 av de la Motte-Picquet, 75007 Paris.

Summary : A NATIONAL HERITAGE IN DANGER: THE CHURCHYARDS OF FRANCE

by Frédéric THEBAULT.

Modern tombstones and those of the past differ in many ways: the stone that is used, the inscriptions and the size. And those of the past are more elaborate, in every way.
In 1843, it became possible for a family to have its own patch of ground in a churchyard, which could be used by future generations ad infinitum.
Nowadays, as the graveyards are crowded, some gravestones which have become derelict and are of special historical or artistic interest, can be re-used. In 1987 a decree was issued by the Préfecture requiring every county to list tombs which came into this category. However, in many cases, nothing was done.
And these tombstones are important – they are the last traces of a vanished civilisation which made France what it is today. And those people, long ago, who made financial sacrifices in order to have their own tombstone, thought they would survive indefinitely.
The Société pour la Protection du Patrimoine et de l’ Esthétique de France (SPPEF) has been trying to make people aware of the situation for four years. They aim at establishing a list which defines the characteristics of the tombs which should be preserved.
Alsace is in the forefront of recent developments and in particular, one can mention the Mulhouse churchyard, which has already obtained official protection from the authorities. And the county of Vendée has just finished listing gravestones of special interest. The SPPEF can give advice and information in this area to anyone interested.
If nothing is done, many gravestones will be destroyed in the near future and today only a few can still be saved. We have to act before it is too late!

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