Suite aux persécutions infligées aux huguenots à la suite de la révocation de l’édit de Nantes en 1685, plus de 250 000 huguenots contraints à l’exil trouvèrent refuge dans les contrées du nord et de l’Est de l’Europe, beaucoup s’installèrent dans les Flandres d’autres en Prusse occidentale, d’autres se retrouvèrent à Berlin et dans le brandebourg avoisinant, d’autres enfin firent route jusqu’en Saxe et décidèrent de s’installer à Leipzig et à Dresde.
Des familles entières soutenues par leur foi et la conviction qu’ils n’avaient qu’un seul seigneur et maître : DIEU, entreprirent dès la fin du 17ème siècle de vaincre les obstacles de l’expatriation pour s’implanter (s’insérer) dans des contrées lointaines et peu familières.
Leur choix de s’implanter à Leipzig était surtout motivé par des raisons économiques, cette ville jouissant à l’époque d’une grande réputation en matière de commerce international, on trouve d’ailleurs dans les archives cette citation en français «ville de ressources pour les gens capables et désireux de travailler »
La fondation de l’Eglise réformée de Leipzig. ( source biblio1)
L’implantation de la religion réformée en Saxe ne fut pas des plus aisée. contrairement aux huguenots établis à Berlin et dans le brandebourg qui trouvèrent rapidement un appui en la personne de Frédéric Guillaume et de son édit de potsdam en 1785 qui leur assurait de pouvoir entre autre pratiquer la religion réformée, les huguenots en Saxe se trouvaient en terre luthérienne dont Leipzig était un des fiefs les plus durs. Eisenach et la Wartburg où Luther avait régné en maître n’étaient qu’à une centaine de milles et Wittenberg où il afficha ses thèses qu’à une soixantaine de Leipzig.
Plusieurs corps de métier détenus par les corporations luthériennes étaient interdits aux français.
En septembre 1700, une demande officielle d’exercer la religion réformée en Saxe fut déposée devant le Prince de saxe, Auguste le Fort, dans laquelle des français, mais aussi des suisses installés là depuis 1670 et qui partageaient la même foi, demandaient officiellement la permission de se réunir pour prier et lire la Bible dans des assemblées communes.
Il leur fallut réunir la somme énorme de 7000 Thalers, afin «par ce geste de dévouement, de faciliter les démarches auprès des autorités» pour pouvoir prétendre à exercer librement leur culte, pour la première fois, deux ans plus tard en mai 1702.
C’est la date de 1700 qui reste considérée comme la date de la fondation de l’Eglise réformée en Saxe, et c’est pour cela que 300 ans plus tard, le 17 septembre 2000, un jubilé s’est tenu à Leipzig dans une atmosphère de fêtes.
Des commerçants avant tout.
L’un des éléments caractéristique et constant dans l’histoire de la communauté réformée au 18ème siècle est l’appartenance à une société de négoce. Les membres des familles Séchehaye, Dumont, Duvigneau, Rousset, Dufour, membres du consistoire de la première paroisse à Leipzig sont tous propriétaires de magasins à Leipzig .
En tant que réformés, les huguenots de Leipzig avaient un statut particulier. Ils avaient obtenu un droit de séjour en Saxe en tant que «alliés protégés», on dirait aujourd’hui protégés politiques, mais restaient soumis à diverses interdictions, puisqu’ils n’avaient pas droit à la citoyenneté.
Seul le commerce de gros n’était pas réglementé et c’est dans cette activité que de nombreux expatriés choisirent de développer leur activité. Ils ne pouvaient ni exercer leur métier d’artisan de façon libérale, ni ouvrir de fabrique. Ils choisirent donc d’importer des denrées, de France principalement, et de les revendre, généralement ailleurs qu’en saxe, dans le Brandebourg ou à Halle, ville distante de 40 Km, mais où les lois sur le négoce étaient différentes.
De cette manière ils étendirent leur commerce à toute l’Europe ; C’est ainsi qu’au 18ème siècle, le commerce de la soie par exemple reposait presque exclusivement dans les mains des français.
Un calendrier des commerçants de la ville de Leipzig de 1743 répertorie 23 commerces français. L’offre de denrées se compose de bas de soie, tissu soyeux de Milan, broderies, objets de galanterie et de bijouterie en provenance des Indes, de France, de Hollande et d’Angleterre, gants de cuir et autres produits soyeux de France.
14 maisons sont spécialisées dans le commerce de la soie avec la France : Lavallière et Malherbe, François et Louis Dufour, les frères Féronce, Jean Théodore de la Faye, les frères Duvigneau, et d’autres encore. Cette concentration du marché de la soie entre les mains des français montre bien l’importance de ce commerce à cette époque. ( pensons à toutes les cours princières ou royales de l’époque en Europe de l’Est qui habillaient les murs de leur château avec des pans de soie )
C’est bien-sûr de Lyon que provenaient en grande partie les plus belles soieries, ville réputée pour la quantité de ces fabriques et la qualité des matériaux produits. Un rapport de 1785 fait mention des villes françaises d’où étaient importées les denrées avec les chiffres suivants : Lyon avec 18 000 métiers à tisser la soie vient en tête (64% du marché), suivi de Nîmes (11,3%) Paris (8%), Avignon (6,7%) et Tours (5,6%) du marché. La fabrication de la soie à Lyon existait depuis le 17ème siècle et donnait du travail à la majorité de la population. En 1788 environ 30 000 personnes travaillait dans la fabrication de produits soyeux. ; Leipzig était, après la péninsule ibérique et les grands centres commerciaux d’Europe comme Londres, Hambourg ou Amsterdam l’un des lieux les plus importants pour l’exportation des soieries lyonnaises.
La pérennité du commerce avec les soyeux français s’explique par l’attention toute particulière entretenue par les Huguenots avec leurs partenaires commerciaux français, en leur assurant des conditions intéressantes de vente.
Les commerçants français de Leipzig garantissaient aux fabriquants de soie de Lyon un écoulement assuré des marchandises, en commandant régulièrement des stocks de soie importants qu’ils espèrent vendre lors des foires. Pour les Lyonnais cela représentait un avantage important dans la mesure où ils n’étaient pas eux-mêmes obligés d’envoyer ces produits en Europe de l’Est et d’accorder des crédits à long terme.
Chaque année des membres des familles de commerçants français se rendaient à Lyon pour inspecter les manufactures de soie, choisir de nouveaux modèles, étudier les prix et les produits pour négocier avec les artisans et passer des commandes pour les foires. Ces voyages étaient des véritables expéditions, si l’on pense à la distance séparant Leipzig et Lyon (plus de 1000 Km) : il fallait plus de 15 jours pour accomplir ce voyage dans un seul sens avec les diligences ; les marchandises quant à elles étaient transportées en 6 semaines.
Les foires de Leipzig se tenaient trois fois par an, d’autres foires se déroulaient à Naumburg ou à Frankfurt sur l’oder et attiraient les acheteurs de Pologne et de Russie, principalement les juifs nombreux dans ces régions.
« Entre nous nous fesons une grande foire » c’est par ces mots que s’exprimait en 1800 Ferdinand Dufour dans une lettre à sa femme restée en France. Il parlait d’une des foires qui avait été un succès commercial en août 1800 à Braunschweig, de telles manifestations commerciales se tenant presque tous les mois de janvier à novembre en saxe et dans les contrées avoisinantes.
Une description de la foire de Leipzig en avril 1791 montre bien à quel point les différentes cultures se mélangeaient et l’on peut aujourd’hui encore s’étonner à de tels récits interculturels : «dimanche dernier fut une journée tumultueuse : les juifs, les Russes, les Grecs, les commerçants chrétiens de toutes les régions se sont rencontrés, animés tous non pas de la même conviction religieuse mais du même intérêt ; une demi-douzaine de bouteilles de vin doux de Malaga et de Frontignan a su apaiser la soif de ces peuples différents ; J’ai fait apporter dans l’un de mes magasins un copieux repas de midi, cela a eu le meilleur effet sur les acheteurs. » Le résultat fut en effet tangible, la maison Dufour vendit à cette foire de Pâques pour 158 096 Thaler de marchandises.
Les changements du 19ème siècle.
Suite à la révolution française de 1789, les échanges commerciaux avec la France sont devenus plus difficiles. La guerre en Europe qui dure depuis 1792 et les campagnes napoléoniennes sont des facteurs influents sur les affaires et le commerce. L’animosité de la France contre les Anglais impose notamment un blocus des marchandises anglaises à Leipzig, et la présence napoléonienne en Saxe obligent à d’âpres négociations, dans lesquelles certains huguenots de Leipzig s’illustreront magistralement.
« Une nouvelle preuve de l’égalité de droits accordée récemment en Saxe aux individus de notre croyance » c’est ce qu’on pouvait lire non pas en manchette d’un quelconque quotidien du 18.3.1811, mais dans « l’abrégé historique annuel de l’Eglise réformée de Leipzig » sous la plume de pierre Dufour.
En mars 1811 les réformés obtiennent enfin l’égalité avec les luthériens et les catholiques, c’est à dire que non seulement ils peuvent exercer librement leur religion mais aussi accèdent à la citoyenneté et aux droits politiques.
Il fallut attendre plus d’un siècle pour arriver enfin à cette reconnaissance.
Petit à petit, les conditions d’exercice des professions se libéralisent. En 1802, Charles Henri Reclam, fils d’un émigré berlinois s’installe à Leipzig comme libraire, la ville ayant une réputation culturelle et musicale reconnue et passant pour être un lieu d’élégance et de bon goût. Goethe la dénomme même « petite Paris » surnom dû à l’influence de la colonie française ayant su imposer le modèle de ses coutumes raffinées.
D’autres éditeurs viendront, à la suite de Reclam s’installer à Leipzig et lui donner la réputation de ville du livre qu’elle conservera durant plusieurs centaines d’années. En 1810 par exemple, on compte à Leipzig 61 maisons d’édition et librairies, 24 imprimeries.
Cet épanouissement commercial est doublé d’un engagement social intense et les membres de la communauté réformée jouent un rôle important par leur engagement dans la cité. Jean Marc Albert Dufour-Féronce (1798-1861), 5ème descendant de la génération à diriger le commerce de la soie en Saxe, s’engagea dans la construction d’un chemin de fer entre Leipzig et Dresde, et dans des exploitations minières, secteur pilote de la région au 19ème siècle. On trouve aussi des descendants huguenots dans les affaires politiques de la ville et du Land.
Si l’on ne peut pas affirmer que seuls les huguenots réfugiés du 17ème siècle sont à l’origine du développement du commerce de la ville, il ne fait aucun doute qu’ils contribuèrent largement à ce que Leipzig devienne au 19ème siècle un centre commercial important non seulement au niveau de l’Allemagne mais au niveau européen. Leur contribution à l’ouverture culturelle de la ville doit être soulignée également et cela contribua à faire de la Saxe une grande région européenne.
1.Archives de l’église réformée de Leipzig. Chronique manuscrite de la communauté réformée, écrite par Jacques marc Antoine Dufour -1804-
(Émission du Comité Protestant des Amitiés Françaises à l’Etranger, diffusée le dimanche 4 février 2001, à 8h30, sur France-Culture)
par Annick Faure
« La Lettre » N°27 de Juin 2001
Bonjour,
Je viens de prendre connaissance de votre trés intéressant article sur les Huguenots de Leipzig.
Je suis á la recherche de mon arriére Grand Pere qui y a fait des études de médecine:Il avait une trentaine d’années en 1898.
Son pére était Médecin militaire. Leur nom (dont je n’ai pas l’orthographe) était
de Notvent (ou d’une sonotiré similaire). Il avait une soeur.
Pensez-vous avoir la possibilité d’orienter mes recherches ?
Je vous remercie vivement de votre réponse.
Cordialement
Annie Bard Martinez