Les dates de naissance et de mort d’Alexandre Vinet, penseur et théologien protestant vaudois, expliquent pourquoi 1997 est considéré par certains comme « l’année Vinet »* ; on y célèbre en effet le 200ème anniversaire de sa naissance à Lausanne, où il fit ses études de théologie, et le 150ème anniversaire de sa mort prématurée dans cette même ville. Entre ces deux dates, Vinet enseigne, de 1817 à 1837, la littérature française à Bâle (Gymnase puis Université). Enfin, il sera professeur de théologie pratique à l’Académie de Lausanne. Il initiera donc les futurs pasteurs à la réalité du ministère. A partir de ses cours et des notes prises par les étudiants, on publiera après sa mort une « Théologie pastorale », en 1850, qui a marqué jusqu’à la dernière guerre des générations de pasteurs, s’identifiant pendant près de cent ans à la figure du pasteur (modèle moral des fidèles) telle que la présent Vinet, mais image d’autant plus idéalisée peut-être qu’il n’a jamais exercé ce ministère.
Vinet est aussi un remarquable écrivain. On sera frappé par la force de son style et son sens des formules ; par exemple : « Là où l’incrédulité est impossible, la foi est impossible aussi ». « Rien n’est dangereux comme un théologien puissant ». « La vérité sans la recherche de la vérité n’est que la moitié de la vérité ». « Dominer, c’est dépendre ». Ecrivain, il l’est principalement par ses ouvrages de critique littéraire portant sur des auteurs français du XVIème au XIXème siècle. Ses « Etudes sur Blaise Pascal » sont connues et reconnues. Vinet annonce la critique littéraire d’aujourd’hui par le soin qu’il accorde aux textes en tant que tels et à leur écriture. Parlant amplement des écrivains de son temps, Vinet vit ainsi sa pensée dans les cadres et l’esprit d’une « théologie de la culture » (Tillich) ; il retrouve en effet le cœur vrai du christianisme dans un dialogue et le cœur vrai de la théologie à ses frontières. En cela, il est d’une modernité étonnante.
Un autre aspect de son œuvre le rattache à notre présent : son combat en faveur de la liberté et des libertés, plus particulièrement par sa lutte pour la séparation des Eglises et de l’Etat. L’ « Essai », de plus de 500 pages, qu’il consacra en 1842 à cette question, noue la gerbe de toutes ses réflexions. Dans l’alliance entre la religion et la société politique, il voit des relations « adultères » et « funestes ». Son combat reste emblématique quand il écrit : « La religion ne commencera qu’au point précis où recommencera la liberté ».
Homme unissant toujours une profonde spiritualité à un christianisme pratique et social, Vinet est un grand contemplatif et un moraliste. Il est combattant parce que mystique. « La prière est le lieu de la vérité », écrit-il ; ou encore : « On prie trop peu pour autrui, et c’est pour cela qu’on prie mal pour soi ». Sa foi, ancrée en Jésus, nous appelle à inscrire en lui toute notre existence. Il affirme : « Il faut, dans chaque sermon, partir de Jésus-Christ ou arriver à Lui ». Dans « chaque sermon » ? Assurément mais Vinet sait bien que notre vie entière peut être une prédication.
(Emission du Comité Protestant des Amitiés Françaises à l’Etranger, diffusée le dimanche 5 octobre, à 8 h 25, sur France-Culture)
par le Professeur Laurent Gagnebin
de la Faculté de Théologie Protestante de Paris
« La Lettre » N°20 de Novembre 1997
* Expositions :
- à Lausanne, Espace Arlaud : « Alexandre Vinet, Portraits » 10 avril-15 juin.
- à Lausanne, Bibliothèque Dorigny, 6 mai-20 juin.
- à Paris, Eglise Réformée de l’Oratoire, 2-16 octobre.
- à Bâle, octobre-novembre.