Précepteurs et gouvernantes suisses à la cour de Russie (Lettre 64)

A la fin du XVIIIe siècle, et cela se prolonge au siècle suivant, le Pays de Vaud exporte largement précepteurs et gouvernantes à la Cour de Russie. Pourquoi autant de Suisses en Russie ? A cette époque de ce qu’on a appelé « l’Europe française au siècle des Lumières », il faut parler français, c’est la langue des élites, la langue diplomatique. Les Suisses de l’ouest sont francophones, parlent peut-être un français moins pur, mais ils présentent l’avantage d’être calvinistes et de pouvoir donner une éducation protestante. En effet le plus grand nombre de mariages de la Cour orthodoxe de Russie se faisait avec des Cours allemandes protestantes. Enfin, en cette fin du XVIIIe siècle, des Français peuvent être contaminés par des idées révolutionnaires. La Suisse au contraire donne l’image d’un pays calme, simple et pastoral.

En voici des exemples.
Gravure de Frédéric-César de La Harpe.Le plus connu de ces pédagogues est Frédéric-César de La Harpe qui fut le professeur, pendant onze ans, des grands-ducs Alexandre (futur Alexandre Ier) et Constantin. La Harpe se voyait comme le « guide des princes », chargé d’en faire des hommes éclairés. C’est à lui que l’impératrice Catherine II demande de lui trouver deux « bonnes filles » pour être les gouvernantes de deux de ses petites filles, les grandes-duchesses Hélène, 6 ans, et Marie, 4 ans. Les gouvernantes doivent leur apprendre le français et le savoir-vivre. Pour les connaissances, les princesses ont de multiples professeurs qui se succèdent. Les gouvernantes, bien sûr, assistent aux cours.

Pour trouver ces « deux bonnes filles » comme le souhaitait l’impératrice Catherine, La Harpe s’adresse à son ami Henri Monod, le futur président du gouvernement du canton de Vaud. Celui-ci lui recommande sa cousine Esther Monod et une amie de sa sœur Jeanne Huc-Mazelet. Les deux jeunes filles partent à la fin du printemps 1790, munies d’un passeport et d’un certificat de bonnes mœurs. Elles sont accompagnées d’une femme de chambre et d’un cousin d’Esther, qui a 25 ans, Jean Monod, le futur pasteur de Copenhague et de Paris. A Saint Pétersbourg les jeunes filles vont trouver une chaleureuse petite communauté suisse. Les gouvernantes doivent rester avec leur princesse jusqu’à ce que celle-ci se marie. Pour Esther Monod ce fut pendant 8 ans ; pour Jeanne 14 ans. Malgré l’affection qui la liait à sa petite princesse dont elle fut la vraie mère, Jeanne eut souvent le mal du pays. Esther et Jeanne représentent deux destins : Esther se maria et resta en Russie ; Jeanne, célibataire, rentra à Morges en Suisse.

Aujourd’hui, l’université de Lausanne et l’université Lomonossov de Moscou rassemblent les récits et les correspondances qui nous restent de ces pédagogues pour mieux connaître cette émigration, étudier les liens qui se sont noués et permettre ainsi d’éclairer ces jeunes femmes éducatrices restées jusqu’ici dans l’ombre de l’histoire.

par Gabrielle Cadier-Rey

(Culture protestante, chronique mensuelle des Amitiés huguenotes internationales, diffusée sur France Culture à 8h55, le 3 novembre 2019 et rediffusée le 5 janvier la grève sur France-Culture ayant empêché l’enregistrement prévu)

 

Page de garde du livre de JJ Rousseau : EmileEmile ou de l’éducation,

par J.J. Rousseau, Citoyen de Genève, édité à Amsterdam en 1766, inspira les pédagogues de l’époque.

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