L’assemblée du 6 septembre 1942 au Musée du Désert (Lettre 66)

par Denis Carbonnier

C’était il y a près de 80 ans.

Nous sommes le 6 septembre 1942. Le premier dimanche de septembre, le jour où, depuis plus de 30 ans, se tient l’Assemblée du Musée du Désert.

Au petit matin, des cars sont partis de Marseille ou de Nîmes vers Mialet. Des jeunes, surtout des scouts en uniforme des Eclaireurs unionistes, ont choisi de rejoindre à pied la châtaigneraie du Mas Soubeyran.

Vers 10h 30, sous un soleil radieux, ils sont ainsi 4.000 à se presser autour de la chaire du Désert, cette chaire qui leur rappelle que durant plus d’un siècle – entre la révocation de l’Edit de Nantes en 1685 et la Révolution française – les protestants n’ont pu exercer librement leur religion.

 

En 1942, c’est de l’histoire ancienne : les protestants sont alors libres de pratiquer leur religion. L’heure est cependant grave. Ce ne sont plus les protestants qui sont pourchassés, mais les juifs.

Le pasteur Marc Boegner qui est depuis 1929, le président du Conseil de la Fédération protestante de France et a pris en 1938 la présidence du Conseil national de l’Eglise réformée de France, multiplie depuis Nîmes, où il est replié, les déplacements et les interventions auprès du gouvernement de Vichy en faveur des personnes placées dans les camps d’internement et ensuite en faveur des Juifs.

Le 23 décembre 1940, Boegner a rappelé aux pasteurs que « pour l’Église protestante, il n’y a pas de problème juif » et que « l’Église a le devoir de rappeler à l’État […] que son autorité, dont le fondement est Dieu, doit s’exercer pour le bien de tous ses ressortissants, dans une volonté de justice, et dans le respect des personnes ».

Le 26 mars 1941, il a écrit au grand rabbin de France une lettre dans laquelle il s’élève contre la mise en place de la nouvelle législation raciste : « Notre Église, qui a jadis connu les souffrances de la persécution, ressent une ardente sympathie pour vos communautés dont en certains endroits la liberté du culte est déjà compromise et dont les fidèles viennent d’être si brusquement jetés dans le malheur. Elle a déjà entrepris et ne cessera pas de poursuivre des démarches en vue d’une refonte indispensable de la loi. » Il s’agit là de la première manifestation publique de solidarité des chrétiens français envers les Juifs. Cette lettre connaît un retentissement extraordinaire, notamment grâce au journal collaborationniste Au pilori qui a cru bon de la publier sous le titre « Une lettre inadmissible du chef des protestants de France ».

Le 20 août 1942, après de nouvelles mesures antijuives en zone occupée et la rafle du Vel’d’hiv, Marc Boegner écrit une nouvelle lettre au maréchal Pétain protestant contre les opérations de livraison à l’Allemagne de Juifs étrangers :

« La vérité est que viennent d’être livrés à l’Allemagne des hommes et des femmes réfugiés en France pour des motifs politiques et religieux, dont plusieurs savent d’avance le sort terrible qui les attend […]. Je suis obligé d’ajouter, Monsieur le Maréchal, que la livraison de ces malheureux étrangers s’est effectuée, en maints endroits, dans des conditions d’inhumanité qui ont révolté les consciences les plus endurcies et arraché des larmes aux témoins de ces mesures. » Les rafles se poursuivent le 26 août en zone non occupée.

Quelques jours ont passé. Nous sommes aujourd’hui le 6 septembre 1942 au Musée du Désert. Le pasteur Marc Boegner est précisément invité à y prendre la parole, le matin comme prédicateur du culte, l’après-midi pour conclure la journée.

Dans ses mémoires, il se rappelle avoir prêché sur le verset biblique « Sois fidèle jusqu’à la mort » : « je parlai aussi nettement que possible de notre devoir d’être de bons Samaritains envers les juifs souffrant tout près de nous ». L’après-midi, à l’issue de la journée, et devant les micros de la Radiodiffusion nationale, il évoque mezza-voce, la question de la vocation de l’Eglise en face de l’Etat.

Puis, Boegner réunit autour de lui l’ensemble des pasteurs présents – entre 60 et 70, venus des Cévennes, mais pas seulement – et leur demande d’accueillir des juifs et de les cacher – ce à quoi plusieurs répondirent qu’ils le faisaient déjà !

D’ailleurs, au milieu des fidèles et pasteurs venus le matin au Musée du Désert en car ou à pied, quelques dizaines de juifs s’étaient fondus dans la foule. De Mialet, ils ont été répartis dans les maisons refuges de plusieurs vallées cévenoles, fuyant ainsi la nasse urbaine.

Plaque commémorative de l'assemblée de 1942

 

En 2012, une plaque rappelant le souvenir de cette assemblée de 1942 a été inaugurée au Musée du Désert en présence de l’actuel grand rabbin de France.

(Culture protestante, chronique mensuelle des Amitiés huguenotes internationales, diffusée sur France Culture à 8h55, le 6 septembre 2020)

 

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