par Gabrielle Cadier-Rey
Les portraits que nous avons de François Guizot montrent tous un homme sévère, guère souriant. Un homme d’Etat conscient de son importance politique et sociale. Or il existe un autre François Guizot, l’homme privé, que nous révèle son abondante correspondance, surtout féminine.
Guizot eut de solides amitiés masculines, le plus souvent liées à la politique, mais c’est la compagnie des femmes qu’il préférait. Il n’était pas seulement sensible à leur beauté ; il appréciait leur intelligence, leur culture, leur profondeur morale.
On peut en citer plusieurs qu’il aima « fraternellement » (c’est son expression) comme Albertine de Staël, duchesse de Broglie, Cordélia de Castellane, la comtesse de Rémusat, Mme Lenormant, ou Laure de Gasparin avec qui il échangea des centaines de lettres souvent passionnées. A cette époque où la vie de salon est si importante, il eut plusieurs tendres amies. Avec la princesse de Lieven, alors que tous deux étaient veufs, il entretint une longue et fidèle liaison.
Dans sa famille aussi, l’élément féminin dominait. D’abord sa mère, Sophie Bonicel, fille d’un pasteur du Désert. Veuve à 29 ans (André Guizot a été guillotiné comme Girondin en 1794) inconsolable, d’une foi profonde, elle a exigé beaucoup de son fils. Il l’écoutait respectueusement mais ne la suivait pas, notamment quand elle s’est opposée à ses deux mariages.
Il épousa d’abord Pauline de Meulan qu’il avait rencontrée comme journaliste. Ils travaillèrent ensemble, 
s’intéressant particulièrement à l’éducation ou en traduisant l’œuvre d’un historien anglais. Ce mariage qui ouvrit à Guizot un autre monde, celui d’une aristocratie des Lumières, fut très heureux. Mais Pauline mourut de la tuberculose.
Un an après, Guizot épousa la nièce de Pauline, Elisa Dillon. Là aussi Guizot trouva un grand bonheur, mais Elisa mourut à son tour, de phtisie ou de fièvre puerpérale, laissant trois petits enfants pour qui Guizot va se révéler à la fois père et mère.
L’aînée, Henriette, en qui Guizot voyait une réincarnation de sa mère Elisa, fut indispensable à son père, comme maîtresse de maison et comme aide dans ses travaux intellectuels. Elle avait reçu la même instruction brillante qu’un garçon, ce qui est rare à l’époque. Elle est l’auteur de plusieurs dizaines d’ouvrages et traductions, tout en s’impliquant dans des œuvres sociales. Néanmoins on ne peut la considérer comme féministe, ce que sera avec éclat sa fille Marguerite.

Portrait d’henriette d’Henriette Guizot de Witt 1842 par Clotilde Gérard-Juillerat (Wikipedia)
(Chronique des Amitiés huguenotes internationales diffusée à la fin de l’émission SOLAE, sur France-Culture, le dimanche 12 novembre 2024, à 8h55)