Christophe-Philippe Oberkampf, né en 1738 dans le Würtemberg, est élevé en Suisse. Dès 11 ans et demi il se forme auprès de son père, teinturier grand tein de bleu sur toile blanche à Aarau, puis comme graveur chez Koechlin-Dollfus à Mulhouse. Il arrive à Paris en 1758, embauché comme graveur puis coloriste à la petite manufacture de toiles peintes Cottin (située à l’emplacement actuel de la bibliothèque de l’Arsenal).
En 1759, le port des vêtements en « indienne« , interdits par protectionnisme, mais fort à la mode, sont autorisés en France : Oberkampf crée alors sa propre manufacture d’indiennes, à proximité des Gobelins.
Mais il voit plus grand. Un an plus tard, il se rapproche de Versailles où la cour constituera sa clientèle, et fonde toujours sur la Bièvre la manufacture de Jouy–en-Josas, dont il accroit ensuite le domaine.
Oberkampf obtient la nationalité française en 1770.
La pratique religieuse n’est autorisée officiellement pour les protestants français qu’en 1789. Il se marie clandestinement à la chapelle de Suède en 1774, puis veuf, son second mariage est célébré en 1781 à la chapelle de Hollande avec, exceptionnellement, un brevet de permission royal !
La manufacture de Jouy constitue un enclos protestant composé de sa nombreuse famille – son frère Frédéric, son neveu Samuel Widmer, ses collaborateurs, domesticité et ouvriers. Comme Oberkampf, beaucoup sont suisses germanophones, et continueront à s’exprimer en allemand, formant une communauté paternaliste qui occupe hommes et femmes. De petites tâches sont confiées aux enfants.
Ce succès peut-il être lié à des valeurs protestantes ?
La devise d’Oberkampf est « Droiture et vigilance« .
Esprit d’entreprise, pragmatisme, ouverture internationale, Oberkampf est sans cesse à l’affut d’améliorations suisses ou anglaises, en mécanique ou chimie des couleurs. Il introduit l’impression à la plaque de cuivre qui, enroulée sur un cylindre, permet la mécanisation. Il contrôle avec exigence toute la fabrication, dont les différentes étapes ont été élégamment illustrées par le dessinateur Jean-Baptiste Huet.
Les innovations permettent d’ajouter de plus larges compositions au répertoire des « semis » d’inspiration florale. Les thèmes s’adaptent aux nouveaux régimes : du triomphe de la Royauté ils passent au triomphe de la Liberté puis à la campagne d’Egypte…
Le développement et le rayonnement de la manufacture s’accompagne pour Oberkampf d’une prodigieuse ascension sociale : le titre de Manufacture royale, l’anoblissement, une Médaille d’or en 1806, la légion d’honneur reçue des mains de l’Empereur.
Il tisse tout un réseau commercial d’affaires en France et à l’étranger. Conrad Gerard, 1er ambassadeur de France aux Etats Unis, vient à Jouy. L’associé d’Oberkampf, de Maraise, rencontre Washington, Benjamin Franklin et Necker ! Ses deux filles épouseront James et Jules Mallet, régents de la Banque de France.
Simple ouvrier arrivé à Paris au milieu du XVIIIes, à 20 ans, muni de son seul savoir faire, grâce à son habileté d’entrepreneur et l’excellence de sa production, Oberkampf s’impose comme pionnier de l’industrialisation et de l’essor de la haute bourgeoisie.
Le musée de Jouy lui consacre cet automne une exposition.
Parallèlement, le temple de Jouy construit grâce à la contribution de ses descendants célèbre ses 150 ans, dimanche prochain, 8 novembre.
par Christiane Guttinger
Émission du Comité protestant des amitiés françaises à l’étranger diffusée sur France Culture, à 8 h 55, le 1er novembre 2015.
Bibl. Serge Chassagne, Oberkampf un entrepreneur capitaliste au siècle des Lumières, éditions Aubier, 347 pages ill.
Etienne Mallet, préface de Erik Orsenna : Oberkampf, Vivre pour entreprendre, éditions Télématique (avril 2015)
Selon une plaque scellée dans le temple : « Cette chapelle érigée sur un terrain dépendant de l’ancienne manufacture de toiles peintes de Jouy-en-Josas grâce aux contributions des membres de la famille Mallet descendants d’Oberkampf et de la famille Bartholdi-Walter fut inaugurée le 11 juin 1865. Le culte fut célébré par le pasteur Grandpierre »
Merci de cet article bien documenté rappelant en quelques lignes le parcours du premier maire de Jouy, arrivé en France 30 ans plus tôt sans un sou, ne parlant pas français et de plus protestant (luthérien d’origine puis devenu calviniste par ses mariages…)alors que la France était encore sous le régime de la révocation de l’Edit de Nantes.
Je me permets les deux remarques suivantes:
1: vous écrivez « …La pratique religieuse n’est autorisée officiellement pour les protestants français qu’en 1789. Il se marie clandestinement à la chapelle de Suède en 1774… »
Pour moi, ce n’est pas un mariage clandestin, puisque la chapelle de l’ambassade de Hollande est considérée comme terre étrangère..Il sera béni par un pasteur mais non reconnu par l’état civil français.
2 et plus loin vous écrivez : « …La manufacture de Jouy constitue un enclos protestant… »
Enclos protestant, le mot me parait exagéré, car de nombreux ouvriers n’étaient pas protestants et ne venaient pas tous luthériens.
Mais encore merci de faire connaître cette belle histoire à vos adhérents.
Philippe Jaquard Membre du GRH (Groupe de Recherche Historique) de Jouy en Josas