Fortunato Bartolomeo De Felice, une figure méconnue du protestantisme et des Lumières (Lettre 58)

affiche annonce de l'exposition Fortunato de Felice

La bibliothèque de la Société de l’histoire du protestantisme français, rue des Saints Pères à Paris, dans le 7ème arrondissement, accueille jusqu’au 20 octobre, une passionnante exposition consacrée à Fortunato Bartolomeo De Felice. Elle donne l’occasion de revenir sur une figure trop méconnue du protestantisme et des Lumières.
Fortunato De Felice est né à Rome en 1723, d’un père chaudronnier-lanternier. Après des études chez les jésuites, il est admis dans l’ordre Franciscain, ordonné prêtre en 1746, puis nommé professeur de philosophie, toujours à Rome. Il se spécialise dans l’étude de Newton et de Leibniz, et participe activement aux débats intellectuels passés d’Angleterre, en France, et maintenant en Italie.

En 1753 il obtient la chaire de physique expérimentale à la prestigieuse université de Naples. Proche des milieux progressistes napolitains, il traduit en italien le Discours de la méthode de Descartes et le Discours préliminaire de D’Alembert.

Là-dessus, il défraie la chronique avec la comtesse Panzutti, son amour de jeunesse, qu’il aide à s’échapper d’un couvent où son mari la séquestrait. Il est contraint d’errer longtemps en Italie et en Suisse, avant de se fixer vers 1757 à Berne, accueilli par le célèbre Albert de Haller, père de la physiologie moderne, et inspirateur du tourisme alpin.

A Berne, Fortunato De Felice se convertit à la religion protestante. Il devient sujet de la principauté de Neuchâtel, se marie, et poursuit son projet de diffusion des savoirs dans l’espace culturel européen, en devenant journaliste.

En 1762, il s’établit à Yverdon, y fonde un pensionnat de jeunes gens et en même temps une imprimerie. Unissant sa passion pédagogique et sa curiosité intellectuelle, il publie des livres touchant tous les domaines du savoir : médecine, droit, histoire, religion, pédagogie, sciences naturelles, économie, belles-lettres.

En 1770, il se lance dans un grand projet d’encyclopédie : un dictionnaire rassemblant et ordonnant tout le savoir, comme dans une bibliothèque ultra-compacte. Le modèle est l’Encyclopédie de Paris, par d’Alembert et Diderot, commencée en 1751 et achevée en 1772. Tout en l’admirant, De Félice entend la compléter et la corriger : il lui reproche d’être trop franco-française.

Qu’est-ce à dire ? Sur le terrain scientifique, l’encyclopédie de Paris serait souvent peu au fait des dernières découvertes. Sur le terrain métaphysique, elle serait confinée dans le combat entre philosophes déistes ou matérialistes et religion catholique, en ignorant les évolutions de la philosophie et de la théologie dans l’Europe protestante.

 

De Felice, lui, s’assure le concours d’une trentaine de collaborateurs de tous pays : savants, historiens, philosophes et théologiens, pour la plupart protestants.

En dix ans, de 1770 à 1780, De Félice publie cette nouvelle Encyclopédie qui comporte au total 75 000 articles en 58 volumes in-4°, dont une série de volumes de planches.

Diffusée non seulement en Suisse, mais dans toute l’Europe protestante, l’Encyclopédie d’Yverdon a contribué à faire passer dans le grand public cultivé, bien au-delà des cercles académiques et du monde des savants, l’explication du paratonnerre, la nouvelle esthétique du sublime (les « beautés terribles » des montagnes), la critique des peines éternelles et de l’esclavage, bref les idées qui allaient faire craquer le vieux monde à la fin du XVIIIe siècle.

Fortunato De Felice est mort ruiné, contraint de vendre sa bibliothèque, en février 1789, juste avant le grand craquement.

Pour plus de renseignements sur l’exposition, dont l’entrée est libre, vous pouvez consulter le site internet shpf.fr

 

Denis Carbonnier

(Chronique des Amitiés huguenotes internationales, diffusée sur France Culture, à 8 h 55, le dimanche 4 septembre 2016)

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La Société de l’histoire du protestantisme français (SHPF), fondée en 1866 par Fernand de Schickler, est installée depuis 1885, 54 rue des Saints-Pères, 75007 Paris. C’est la plus importante bibliothèque concernant le protestantisme, rassemblant manuscrits, archives, documents originaux, gravures, médailles, objets et tableaux, qui constituent le fonds d’un véritable musée qui n’est qu’en infime partie exposé. Ces collections nourrissent cependant en partie le site du Musée virtuel du protestantisme français coproduit par la BSHPF et la Fondation Eugène Bersier. Il est possible de consulter en ligne le catalogue des imprimés de la bibliothèque de la SHPF ; le catalogue des périodiques, fait partie du réseau SUDOC-PS, donc ses périodiques, vivants comme morts, sont signalés, avec leurs états de collection et leurs cotes, dans le catalogue du SUDOC. Les 933 premières cotes de manuscrits de la SHPF sont signalées dans le catalogue Calames qui s’enrichit petit à petit de nouvelles références.

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