Quelques protestantes pionnières du féminisme.

Photographie de suffragettes manifestant

1 – Sarah Monod et Julie Siegfried

A la fin du XIXe siècle, le Féminisme français est animé par deux courants de militantes : d’une part des laïques, d’autre part des protestantes. Lors des Expositions universelles, celle de 1889 et celle de 1900, ces deux courants organisent des Congrès, Congrès des droits des femmes pour les laïques, Congrès des œuvres et institutions féminines pour les protestantes. Celui-ci est présidé par Sarah Monod. Après l’Exposition de 1900, sous la pression du Conseil International des Femmes qui souhaite avoir une branche française, les deux Congrès se réunissent et forment le Conseil National des Femmes françaises. Sarah Monod en devient présidente et son amie Julie Siegfried, vice-présidente. C’est d’elles deux que je parlerai aujourd’hui.

Elles sont toutes les deux filles de pasteur : Adolphe Monod pour Sarah, François Puaux pour Julie, et aussi sœurs et belles-sœurs de pasteurs, mais ce qui les rapproche, ce sont

Photographie de Julie Siegfried
Julie Siegfried

essentiellement leurs activités philanthropiques, celles qui concernent la protection des femmes et des enfants, dans un pays où il n’existe encore aucune autre protection sociale que privée.

Sarah Monod est depuis 1869 la directrice laïque des Diaconesses, dont les activités ne cessent de s’étendre : œuvres de garde pour les jeunes filles en difficulté, salles d’asile pour les petits enfants, ouvroirs pour leur mère, refuge pour les femmes libérées de prison, dispensaire… Julie, à la mort de Mme de Pressensé, prend la présidence de la Chaussée du Maine, cette œuvre que Mme de Pressensé avait créée pour venir en aide aux femmes de communards sans ressources et dont les activités n’avaient cessé de croître. C’est là qu’ont vu le jour les premières colonies de vacances françaises pour mettre au grand air des petits Parisiens trop chétifs et pâlots. Toutes les deux, Sarah et Julie, créent des foyers pour les jeunes filles qui ont dû venir travailler en ville, foyers où elles peuvent trouver, outre le logement et les repas, une bibliothèque et des loisirs. Cela correspond aux principes de protection de l’Union  internationale des Amies de la Jeune fille, une œuvre créée en 1875 à Genève, à l’initiative de la célèbre abolitionniste anglaise, Joséphine Butler, et dont Sarah Monod va fonder peu après la branche française.

Quand est créé, en 1901, le Conseil National des Femmes françaises, leurs activités prennent une autre dimension, car il s’agit d’obtenir des améliorations juridiques de la situation des femmes, au point de vue éducatif, économique, social, moral. Par ses études, par des rencontres, par des banquets, par le lobbying, le Conseil National cherche à convaincre les hommes politiques. Mais très vite le Conseil comprend que tant que les femmes n’auront pas le droit de vote, elles n’auront aucun pouvoir, aucune influence. Le suffragisme devient alors une de leurs revendications, portée au Parlement par certains députés comme Jules Siegfried, bien sûr, ou Ferdinand Buisson qui fonde une Ligue des électeurs en faveur du droit de vote des femmes. Ce sujet, le droit de vote des femmes, est au cœur de toutes les rencontres internationales, comme au Congrès de Berlin, en 1904, où l’Impératrice voulut avant tout rencontrer Sarah Monod, ou deux ans plus tard à la Conférence de Copenhague. Le Conseil International des Femmes est dominé par les protestantes, anglo-saxonnes, scandinaves, néerlandaises ou allemandes.  C’est aussi ce qui explique dans quel milieu il s’est fondé en France On retrouve là les amitiés françaises à l’étranger !

On a dit du Conseil National des femmes françaises que sa création est une des dates les plus importantes de l’histoire du Féminisme en France puisqu’il consacre l’alliance du féminisme réformiste et de la philanthropie féminine. Il a fédéré des forces jusque là dispersées et de 40 associations à ses débuts, il en regroupe 150 vingt ans plus tard. Sarah Monod, puis Julie Siegfried qui lui a succédé à sa mort en 1912, en sont les grandes initiatrices.

2 – Marguerite Schlumberger

Photographie de Marguerite Schlumberger
Marguerite Schlumberger

Le mois dernier, j’évoquais ici deux grandes dames du féminisme français au début du XXe siècle : Sarah Monod et Julie Siegfried. Aujourd’hui, je vais parler d’une autre pionnière du féminisme : Marguerite de Witt-Schlumberger (photo). C’est la petite-fille de Guizot auprès de qui elle a vécu au Val-Richer, dans le Calvados, pendant 21 ans et à qui elle doit en grande partie sa formation intellectuelle. Elle a épousé Paul Schlumberger, ingénieur et industriel à Guebwiller dont elle a eu 6 enfants. Bien qu’un peu plus jeune, elle est proche de Sarah Monod et de Julie Siegfried. Au début, ses activités sont les mêmes : œuvre de protection des jeunes filles, en Alsace, puis à Paris création et présidence d’une œuvre de « relèvement moral par le travail » comme on disait à l’époque, et qui s’adresse aux femmes sorties de prison et qui ont besoin de travailler. En 1912, elle y joint une Ecole ménagère pour donner un métier à des jeunes filles qui lui sont confiées par l’administration pénitentiaire. Et quand elle entre au Conseil National des Femmes françaises (dont nous avons parlé le mois dernier), Marguerite Schlumberger y dirige la Section d’Hygiène morale et de répression de la traite des femmes, et elle fait partie de la Commission internationale pour l’Unité de la Morale et contre la traite des Blanches. Elle appartient donc aussi au grand mouvement abolitionniste initié par Joséphine Butler.

 

Tout comme Julie Siegfried, elle milite contre l’alcoolisme ; elle est présidente d’honneur de l’Union des Femmes contre l’alcool et de la Ligue nationale contre l’alcoolisme. Pendant la guerre, toutes deux aident les familles évacuées d’Alsace et de Lorraine, mais tandis que Julie Siegfried se consacre plus particulièrement au travail des femmes, Marguerite s’occupe de foyers de soldats et d’œuvres sanitaires dans le Calvados. Et au lendemain de la guerre et de l’hécatombe (d’ailleurs Julie et elle ont toutes deux perdu un fils à la guerre), Marguerite est nommée membre du Conseil Supérieur de la Natalité. C’est au titre de toutes les œuvres et associations qu’elle anime, qu’en 1921 elle est décorée de la Légion d’Honneur et cela par Julie Siegfried qui, elle-même, l’avait été deux ans auparavant.

Mais il y a un autre aspect de son activité, un aspect que les hommes qui encadrent la Légion d’Honneur n’ont pas retenu dans son dossier, et qui pourtant est celui qui la fait sortir de la foule des dames d’œuvres : depuis 1911, elle est présidente de l’Union française pour le suffrage des femmes, branche française de l’Alliance Internationale pour le suffrage des femmes, une association d’origine anglo-saxonne, tout comme l’est le Conseil national des femmes françaises. Dans plusieurs écrits et discours, elle a expliqué la nécessite de cette mesure. Les hommes ne font pas les lois nécessaires à l’amélioration de la vie des femmes et des enfants ni à la suppression des injustices. Avec le suffrage des femmes ils devront tenir compte de leurs idées.

En 1922, Marguerite Schlumberger est élue présidente de l’Alliance internationale, mais elle refuse pour raison de santé. A la même époque, à la toute nouvelle Société des Nations, elle est vice-présidente de la Fédération des Associations françaises. Pour elle il s’agit de contribuer à créer un nouvel ordre international fondé sur la justice entre les pays.

 

Ces trois féministes, Sarah, Julie et Marguerite, ont en commun, outre leur solide foi huguenote, d’avoir le sens de leur responsabilité sociale, d’une dette à payer envers les autres femmes moins bien loties dans la vie. Pour elles, plus on a reçu, plus on doit donner. Le rôle de la femme ne se borne pas à la bienfaisance, elle doit lutter de toutes les manières contre les injustices sociales. Comme le disait Marguerite : « Nous avons le devoir d’aller au feu comme tout bon soldat. » Et toutes trois se sont vaillamment battues.

par Gabrielle Cadier-Rey.

(Émissions du Comité Protestant des Amitiés Françaises à l’Étranger diffusées sur France Culture, à 8 h 55, les 7 octobre et 4 novembre 2012)

2 réflexions au sujet de “Quelques protestantes pionnières du féminisme.”

  1. La pionnière du féminisme protestante en République démocratique du Congo est feu madame Marie maty.elle a apporté l’éveil chez la femme protestante. Elle est la première à avoir créé la fédération des femmes protestantes au Congo. Je serai heureuse de vous donner plus d’informations.

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  2. l’initiative de ces trois féministes est a saluer. Ma question est de savoir si l’oeuvre a évolué et quels en sont les successeurs? Je suis membre de l’ Union Chrétienne des Femmes de l’église évangélique du Gabon. Nous avons bénéficié d’un enseignement sur la Communication Pacifique et Non Violente par Michel Monod envoyé par le Défap. il y a prés de cinq ans Est il l’un des descendants de Sarah Monod?

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