Le destin « extraordinaire » d’Elie Neau (1662-1722)

pPhoto de la tombe d'Elie Neau
Tombe d’Elie Neau dans le vieux cimetière de Trinity Church à New York

Quel destin « extraordinaire » que celui d’Elie Neau, naturalisé anglais et galérien protestant français, enterré à New York dans le vieux cimetière de Trinity Church, au sud de Manhattan !

Né en 1662 en Saintonge, il s’embarque comme marin à 12 ans, commerce dans les Caraïbes puis s’exile à Saint Domingue, colonie française devenue Haïti. Le protestantisme y est officiellement interdit comme en métropole mais de nombreux huguenots y vivent du commerce du tabac, de l’indigo, du coton et du sucre. Ils pratiquent un culte privé, se marient et font baptiser leurs enfants dans les iles à domination anglaise ou hollandaise.
Les mesures antiprotestantes se durcissant, Elie Neau s’établit à Boston où il épouse une veuve huguenote, puis à New York dont les huguenots constituent 10 % de la population à la fin du XVIIe siècle. Mais seuls les anglais peuvent commercer librement, aussi acquiert-il la nationalité britannique.gravure montrant les galériens sur la route, enchaînés, et battus

Alors qu’il commande un navire à destination de la Jamaïque, il est pris comme otage par un corsaire qui le ramène à Saint-Malo en 1692. Il a beau argumenter de sa nationalité britannique, il est considéré comme protestant français et envoyé aux galères. Avec 59 condamnés, il quitte Rennes relié par un collier de fer à une petite chaine qui s’accroche à la lourde « grande chaîne » des galériens. Leur nombre s’accroit en chemin, jusqu’à 200, conduits à marche forcée par Saumur, Tours, Bourges et Lyon où ils continuent par bateau jusqu’à Pont-St-Esprit et Marseille en 37 jours ! Voyage épuisant rendu plus pénible encore par la pluie, la malnutrition, les maladies et la vindicte des foules…

A Marseille, il reçoit un numéro, un uniforme de galérien. On lui enlève son collier pour enserrer ses chevilles. Il est attaché avec 4 congénères à un banc par une chaine d’environ 3 mètres qui l’oblige à ramer, manger, dormir, et faire ses besoins dans ce périmètre infesté de parasites. Surpris à exhorter ses coreligionnaires par la lecture d’une Bible en anglais et le chant de Psaumes, Neau est emprisonné au château d’If au large de Marseille.

Le sort des galériens-esclaves émeut les pays du Refuge. Guillaume III d’Orange, roi d’Angleterre, négocie, après la paix de Ryswick, la libération de huguenots naturalisés anglais. Neau est libéré en 1698, gagne Genève par Orange et Lyon, rejoint sa famille à New York…

Gravure du sceau de la Société pour la propagation de l'Evangile
Sceau de la « Society for the propagation of the Gospel in Foreign Parts »

Tout en reprenant le commerce maritime qui en fait un des plus prospères marchands de New York, Neau se penche sur le sort des esclaves noirs. Il correspond avec la Société pour la propagation de l’Evangile (Society for the propagation of the Gospel in Foreign Parts (SPG) société missionnaire fondée par les anglicans en 1701) basée à Londres et fonde une école pour catéchiser les enfants noirs et indiens de New York. Il distribue des livrets édités en Angleterre comportant un alphabet qui permet aux esclaves d’apprendre à lire. Il interpelle en chaire les propriétaires pour qu’ils lui envoient leurs esclaves, surmontant leurs craintes… craintes que l’instruction ne les conduise à s’émanciper ! Néanmoins, en 1708, 200 esclaves suivent son enseignement catéchétique et quelques uns se font baptiser à Trinity Church (Neau, ancien de la communauté réformée française, rejoint la communauté anglicane de Trinity Church pour plus d’efficacité. Il est enterré dans le cimetière mitoyen à côté de sa femme en 1722) .

Elie Neau, marin sans instruction de base, écrit à 40 ans un récit (publié en Angleterre en 1699, puis en français en 1701 à Rotterdam) qui constitue une exception parmi les mémoires autobiographiques de huguenots issus de l’aristocratie. Son témoignage est fondamental en ce qui concerne l’exil des huguenots aux Caraïbes, la vie des galériens et une première prise de conscience chrétienne face à la condition d’esclave à l’aube du XVIIIe siècle. Une réédition prochaine vous permettra bientôt de mieux le connaître.

 

par Christiane Guttinger
(Émission du Comité Protestant des Amitiés Françaises à l’Étranger diffusée sur France Culture, à 8h55, le 6 janvier 2013)

Bibliographie :
– Gaston TOURNIER, Histoire des souffrances du sieur Elie sur les galères et dans les cachots de Marseille (1701), Ed. Musée du Désert, 1939, 295 pages, ill, introduction et notes.
– Ruth WHELAN, The extraordinary voyage of Elie Neau (1662-1722) naturalized Englishman and French protestant galley slave, in Proceedings of the Huguenot Society of Great Britain and Ireland, 2011, vol. XXIX, n°4, p.499-527.
– Bertrand VAN RUYMBECKE, Elie Neau, Le périple spirituel et atlantique d’un réfugié huguenot, Ed. Les Indes savantes, à paraître.

1 Society for the propagation of the Gospel in Foreign Parts (SPG) société missionnaire fondée par les anglicans en 1701, dont nous reproduisons le sceau.
2 Neau, ancien de la communauté réformée française, rejoint la communauté anglicane de Trinity Church pour plus d’efficacité. Il est enterré dans le cimetière mitoyen à côté de sa femme en 1722.

1 réflexion au sujet de « Le destin « extraordinaire » d’Elie Neau (1662-1722) »

  1. « Histoire des souffrances du sieur Elie Neau, sur les galères et dans les cachots de Marseille », édition et présentation de Didier Poton et Bertrand Van Ruymbeke,Paris, Les Indes savantes [Rivages des Santons], 2014
    Merci
    D. Poton
    Professeur émérite de l’Université de La Rochelle
    Président du Musée Rochelais d’Histoire Protestante

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