Claude de Sainliens : un huguenot bourbonnais au temps de Shakespeare et d’Elisabeth Iere

 

 

Peinture représentant Elizabeth I
Elizabeth vers 1588 (Wobern Abbey)

CG : Laurent Berec, bonjour. Vous avez consacré une biographie à Claude de Sainliens. Ce Bourbonnais arrive en Angleterre avant 1565, au début des guerres de Religion. S’exile-t-il pour des motifs religieux ?

 

LB : C’est un calviniste convaincu ; il croit à la grâce divine, au salut par la foi. A certains égards, c’est même un puritain. Il s’attaque par exemple à la danse, au jeu, au théâtre. Il est clair qu’il s’exile parce qu’il est protestant.

Mais c’est aussi un réfugié économique, qui réussit bien financièrement : il ouvre à Londres une école très cotée, où il enseigne le français ; il écrit aussi de nombreux ouvrages qui connaissent beaucoup de succès, notamment ses manuels scolaires de français et d’italien.

Consécration suprême : dès 1573, la reine Elisabeth en personne lui rend visite dans son école de Lewisham, à dix kilomètres de Londres.

 

CG : Sainliens s’intègre-t-il à la société anglaise ?   

LB : Oui. Par exemple, deux ou trois ans après son arrivée, il se marie avec une Anglaise, ce qui était assez rare. Et, quand sa femme meurt, il se remarie avec une Anglaise !

Malgré tout, il est patriote : dans ses nombreux ouvrages – manuels scolaires, grammaires, dictionnaires – il transmet fièrement sa langue, et une culture française savante. Il donne aussi aux Anglais de multiples détails sur la vie quotidienne en France. C’est par exemple un ambassadeur de la gastronomie française.

CG : Il est souvent question de vin dans ses ouvrages ! Même dans ses manuels scolaires, quand il donne des exemples de grammaire, il ne peut pas s’empêcher de parler de vin ! En fait, c’est un personnage ambivalent, d’un côté puritain, d’un autre un peu épicurien, parfois même rabelaisien – il emploie parfois des mots très crus.

 

LB : C’est la manière dont s’exprimaient les gens au XVIe siècle. C’est une époque très savoureuse.

 

CG : Votre livre le montre bien. Vous recréez la vie quotidienne au XVIe siècle. Vous parlez de nourriture, mais aussi des vêtements, des jeux d’enfants, des relations hommes-femmes – enfin, de plein de choses, et souvent vous nous faites rire !

 

LB: En fait, c’est Sainliens qui nous fait rire ! Par certains côtés, c’est un personnage comique. D’abord parce qu’il a parfois de l’humour, par exemple quand il raconte dans ses livres les bêtises que font ses élèves. Mais il est surtout comique à son insu parce que c’est un vantard invétéré.

 

CG: Revenons au prosélytisme de Sainliens. Parlez-nous du long voyage qu’il a entrepris à la fin de sa vie.

 

LB: En 1587, il part pour l’Allemagne en compagnie de trois Anglais dont un jeune baron. Et avec ses trois amis, il fait de l’espionnage. Nous sommes au début de la dernière guerre de Religion, juste avant l’Invincible Armada ; les autorités protestantes ont donc besoin d’espions. D’abord Sainliens parcourt l’Allemagne du nord au sud, puis il s’installe à Bâle ; après quoi, malheureusement, j’ai perdu sa trace, mais j’ai conservé la trace du baron, et je suis presque sûr qu’il l’a suivi à Nuremberg, à Constantinople, à Padoue, à Venise et ailleurs.

 

CG : Vous avez fait une découverte importante : vous montrez qu’il est question de Claude de Sainliens dans l’œuvre de Shakespeare.

 

LB: Oui, Shakespeare déteste Sainliens, entre autres parce que c’est un puritain qui dénonce vigoureusement le théâtre. Il dresse de lui un portrait au vitriol dans une de ses comédies, et il se moque de lui dans trois autres pièces.

 

CG : Laurent Berec, je vous remercie et je rappelle le titre de votre livre : Claude de Sainliens : un huguenot bourbonnais au temps de Shakespeare, paru chez Orizons.

Entretien de Laurent Berec et Christiane Guttinger
(Émission du Comité Protestant des Amitiés Françaises à l’Étranger diffusée sur France Culture, à 8h55, le 3 février 2013)

Petite gravure
Une école française à Londres (London Archives)

 

 

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