Un même pays, deux politiques : La Suède et les Huguenots

On pense communément que dès leur sortie du Royaume de France au temps de la Révocation (1685), les Huguenots furent généreusement accueillis par les autres états protestants. Cela n’est pas le cas pour tous. L’exemple de la Suède, où les calvinistes mirent plus d’un demi-siècle à se faire reconnaître, le montre bien.

Il faut dire que la Suède était devenue un bastion du luthéranisme. Religion d’État depuis 1593, sa pratique était obligatoire : l’Église luthérienne, très puissante et très riche, tenait seule les registres de l’état civil, et nul n’était suédois s’il n’était baptisé luthérien avec interdiction formelle, maintenue jusqu’en 1961, de se convertir. Ici, on ne connaissait que la « sainte doctrine » fixée par la Confession d’Augsbourg « invariata » qui seule définissait la Vérité. Toutes les autres confessions, même chrétiennes, même protestantes, n’étaient, selon le Synode d’Upsal de 1593, que « fausses religions hérétiques » à combattre.

Dans ces conditions, la Suède pouvait-elle, au moment de la Révocation de l’Edit de Nantes, comme la plupart des autres états protestants, accepter de recevoir des Huguenots ? Son roi Charles XII, consulté, interrogea son clergé. La réponse fut catégorique : si le pays avait besoin d’eux pour son économie, pas question de donner à ces hérétiques la moindre liberté religieuse. Charles XII crut s’en tirer en créant à Stockholm une Église luthérienne française. Elle procurerait aux arrivants l’avantage d’un culte en leur langue et permettrait au clergé luthérien d’essayer de les convertir, calmant ainsi son agressivité. D’autant que la responsabilité de cette nouvelle paroisse fut confiée à un fanatique anti-calviniste, le pasteur Bergius.

Cependant des réfugiés commençaient à arriver. Où aller prier sans subir des pressions insupportables à des gens qui venaient de tout quitter pour rester fidèles à leur croyance ? Le secours leur vint de la chapelle de l’ambassade d’Angleterre qui proposa de partager avec eux le lieu et le pasteur. Chaque dimanche y furent désormais célébrés deux cultes, l’un en anglais le matin, l’autre en français le soir. Selon le rite anglican évidemment puisque l’on était en territoire britannique et que le pasteur n’en connaissait pas d’autre… mais sans aucune arrière-pensée convertisseuse…

Mais le nombre des Huguenots ne cessait de croître. Bientôt, on eut besoin d’un second pasteur et le roi d’Angleterre, avec beaucoup de discernement, envoya à Stockholm un ministre français du Refuge. Aussitôt, le groupe francophone réclama l’autorisation de célébrer selon ses rites. Ce qu’en dépit des véhémentes protestations de son clergé, Charles XII finit par accepter, à condition bien entendu que tout continue à se passer en exterritorialité à la chapelle d’Angleterre. En 1724, la communauté française adopta donc la discipline de l’Église Réformée de France.

Un dernier pas restait à franchir : l’émancipation. Les circonstances la favorisèrent. En 1740, suite à des incidents diplomatiques, la légation anglaise à Stockholm fut supprimée et l’ambassade fermée. Où aller ? Sous la pression des Anciens de la communauté qui étaient devenus des gens de poids dans l’économie du pays et malgré les résistances de son clergé, le roi finit par reconnaître le groupe calviniste comme une Église indépendante avec le droit de tenir un culte en public et d’ouvrir des registres paroissiaux. Le premier temple réformé de Stockholm fut construit grâce aux dons généreux venus de toutes les Églises du Refuge et inauguré en 1752. Il avait fallu 67 ans !

Or, tandis qu’à Stockholm on tenait les Huguenots en lisière, dans le même temps la chapelle luthérienne de l’Ambassade de Suède à Paris servait paradoxalement d’asile et de refuge à ses frères calvinistes persécutés. Dès 1685, les Réformés y furent accueillis au culte, et bien que de pratiques différentes, admis à la communion ; ils furent assistés s’ils en avaient besoin, on y baptisa leurs enfants et on les y maria sans réticence. Plus tard, le pasteur Baër, apôtre de la tolérance, hébergea même à l’Ambassade, en exterritorialité, le Comité protestant clandestin présidé par Court de Gebelin. Tout ceci avec la bénédiction du Prince et de son ambassadeur, et sous sa haute protection.

L’explication de cette double politique ? A Stockholm, les Huguenots apparaissaient des intrus dangereusement concurrents : il fallait les empêcher de répandre leurs croyances. A Paris, les Réformés étaient des exclus persécutés : on devait chrétiennement les aider…

Bibliographie :

Ch. SERFASS : « L’Église réformée française et l’Église luthérienne française de Stockholm », Paris BHPF. 1921

J. DRIANCOURT-GIROD : « L’insolite histoire des Luthériens de Paris de Louis XIII à Napoléon », Albin- Michel. 1992.

(Émission du Comité protestant des Amitiés Françaises à l’Étranger, diffusée le dimanche 6 Juin 1999, à 8h25 sur France-Culture)
Par Janine Driancourt-Girod.
« La Lettre » N°24 de Décembre 1999

2 réflexions au sujet de “Un même pays, deux politiques : La Suède et les Huguenots”

  1. Bonsoir,
    Voudriez vous avoir l’amabilité de me faire savoir où je peux obtenir une copie de l’acte de mariage le 20 mars 1785 (chapelle de la légation de Suède) entre Florens Louis Heidsieck (protestant) et Marguerite Agathe Perthois (catholique)
    Merci par avance pour votre réponse
    Sincères Salutations
    Marie-France Beck

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  2. Bonjour,
    Je suis en train de préparer un doctorat en histoire moderne à l’Université du Mans et j’aimerais savoir si la Suède a accueilli d’anciens forçats huguenots après 1713.
    Merci beaucoup
    Bien cordialement

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