Catherine Schütz Zell, l’intrépide « mère de l’église »

Mathias Zell
Mathias Zell
Le Comité protestant des Amitiés françaises à l’Etranger a déjà consacré plusieurs de ses émissions à des personnalités féminines de l’époque de la Réforme. Après la théologienne Marie Dentière, les femmes de pasteur Catherine von Bora-Luther et Idelette de Bure-Calvin, nous allons évoquer aujourd’hui Catherine Schütz Zell grâce à une petite étude que nous a transmise notre amie historienne de Hambourg, Christina Griffiths :

Dans un de ses derniers ouvrages Catherine Schütz Zell se qualifie elle-même de « mère de l’église[1] (en allemand, la « Kirchen Moter ») ce qui constitue une autoévaluation plus qu’insolite pour une femme du très patriarcal XVIe siècle … Qui fut donc cette personnalité tout à fait exceptionnelle ?

Catherine Schütz nait à Strasbourg en 1497 ou 1498 dans un milieu artisanal aisé. Elle reçoit une formation scolaire (chose assez inhabituelle pour une jeune fille de son temps) et s’intéresse intensément aux questions religieuses.

Acquise à la première Réforme strasbourgeoise, elle se marie, en 1523, avec le pasteur-réformateur Matthieu Zell, de près de vingt ans son aîné, qui fut le premier à prêcher la Réforme à la cathédrale de Strasbourg devant un auditoire de 2000 à 3000 personnes.

En étroite coopération et en parfaite intelligence avec son mari, elle œuvre inlassablement pour une conciliation entre les différents courants réformés et pour une société animée de valeurs chrétiennes vivantes. Elle dépasse largement son rôle de femme de pasteur, ce ‘métier’ féminin créé par la Réforme, et prend des positions publiques qui trouvent un écho bien au delà de sa ville natale. C’est précisément à l’occasion de son mariage qu’elle prend sa plume pour la première fois, dans une lettre ouverte, pour défendre la décision des pasteurs strasbourgeois -dont son mari- de se marier, décision qui leur valut d’être excommuniés par l’évêque.

Comme cette apologie du mariage clérical, tous les écrits de Catherine Schütz Zell réagissent à des questions d’actualité : ainsi la ‘Lettre de consolation aux femmes de Ketzingen’, ses Méditations sur les Psaumes et le Notre-Père, son Oraison funèbre à l’occasion de la mort de son mari, ou bien sa ‘Lettre ouverte à toute la citoyenneté strasbourgeoise’.

Par cette œuvre très diverse, Catherine Zell se révèle être une des rares théologiennes laïques du XVIe siècle. En fait, elle disposait d’un savoir théologique remarquable qu’elle avait pu approfondir par ses lectures ciblées, sa vaste correspondance et ses multiples entretiens avec l’élite de la Réforme de son temps.

Parallèlement à son travail de réflexion, elle entreprend une immense œuvre caritative et sociale. Entre autres, elle accueille des réfugiés de tous les courants de la Réforme sans considération de leur ‘orthodoxie’ protestante ; elle rend visite aux moribonds et aux condamnés à mort pour les réconforter dans leurs épreuves ; elle intervient à plusieurs reprises pour que soit créé un hôpital digne de ce nom destiné aux malades atteints par la variole.

Dans ses libelles comme par ses actions, Catherine Zell place toujours l’être humain au-dessus des querelles doctrinales et des ergoteries théologiques. Quand l’Intérim imposé par Charles Quint contraint Martin Bucer et Paul Fagius à devoir quitter la ville sans délai, elle les cache dans sa propre maison pendant quelques semaines. Sans peur de l’autorité, l’intrépide strasbourgeoise ne suit que sa propre conscience de femme chrétienne.

Peu avant sa mort elle relève un ultime défi : alors que les pasteurs de la ville avaient refusé les obsèques à une femme dont ils soupçonnaient l’orthodoxie protestante, Catherine Zell – déjà âgée et très malade – se rendit au petit matin au cimetière afin de présider elle-même au service des funérailles. Les autorités citadines crièrent au scandale …

Après sa mort en 1562, la ‘mère de l’église’ strasbourgeoise tomba vite dans l’oubli. Depuis on a redécouvert et édité ses écrits. On a reconnu en elle une des femmes les plus exceptionnelles de l’ère de la Réforme. En effet, la vie et l’œuvre de Catherine Schütz Zell restent un bel exemple de ce que nous qualifierions de ‘courage civique’.

(Émission du Comité Protestant des Amitiés Françaises à l’Étranger, lue par Christiane Guttinger, diffusée sur France Culture, à 8h25, le dimanche 4 avril, 2010)

par Christina L. Griffiths

Lettre N°45

Zell, Katharina Schütz, « Ein Brieff an die gantze Burgerschafft der Statt Straßburg … », dans : Id., The Writings : a critical edition par Elsie McKee, Leiden [et al.] : Brill, 1999, pp. 167-303, ici : 170. Les autres étaient Argula von Grumbach et Ursula Weyda pour la Réforme germanophone et Marie Dentière pour la Réforme francophone. En allemand: Zell, The Writings, voir note 1; en anglais: Id., Church Mother. The Writings of a Protestant Reformer in Sixteenth-Century Germany, Ed. and transl. by Elsie McKee, Chicago, Ill. & London: University of Chicago Press, 2006.


[1] Katharina Schütz Zell en allemand, la « kirchen moter »

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