Calvin et Strasbourg, berceau du Psautier huguenot

Indicatif musical : version instrumentale du Ps. 68 (extraits).
(BNU, oct.-dec. 2009)

Les auditeurs auront sans doute reconnu cette mélodie, car elle représente l’identité musicale du protestantisme et plus particulièrement des Réformés et Huguenots. Le parcours de cette mélodie d’origine strasbourgeoise n’est, semble-t-il, pas connu : il est bon d’en rappeler la genèse, en cette année commémorative Calvin (2009).

affiche de l'exposition
affiche de l'exposition

Tout d’abord : un bref point historique. Venant de Bâle, en 1538, le Réformateur français se rend à Strasbourg, alors Ville libre du Saint Empire Romain Germanique. Le Réformateur local, Martin Bucer (1491-1551) lui confie la charge des réfugiés francophones, et c’est là que commence la véritable histoire du Psautier chanté en langue française, conformément au souhait des Réformateurs préconisant la participation active des fidèles au culte et le chant d’assemblée en langue vernaculaire accessible à tous.

Calvin rencontre, dans la Capitale alsacienne, outre M. Bucer, le Réformateur Matthias Zell (1477-1548) ; le Prédicateur de la Cathédrale, Caspar Hédion (1491-1552) ; le Pasteur de l’Église St-Pierre-le-Jeune, Wolfgang Capiton (1478-1541), entre autres… Il rencontre également le magistrat Jacques Sturm (1489-1553), à ne pas confondre avec Jean Sturm (1507-1589), le pédagogue et humaniste qui dirige la Haute École : la Schola argentinensis, où Calvin enseignera pendant un an ; ainsi qu’Otto Brunfels (1488-1534), auteur d’un traité important sur l’organisation de l’enseignement : Catechesis puerorum in fide, in literis et in moribus (1529).

Clément Marot
Clément Marot

Calvin fréquente surtout des musiciens locaux : par exemple, Matthias Greiter (v. 1495-1550), Wolfgang Dachstein (v.1487-1553), Heinrich Vogtherr (1490-v.1542), Symphorianus Pollio († v.1537), auxquels il empruntera des mélodies.

À la recherche d’un répertoire hymnologique pour les réfugiés francophones, il commence par écrire quelques paraphrases de Psaumes, maladroites et difficilement chantables; elles seront rapidement supplantées par celles de Clément Marot (illustration), plus appropriées au chant fonctionnel d’assemblée.

À cet effet, Jean Calvin publie, en 1539, un petit recueil expérimental – de 15, 5 cm de haut, 11, 5 cm de large, et 3 cm en épaisseur -, intitulé : Aulcuns [quelques] Pseaulmes et cantiques mys en chant… Ce livret peut être considéré comme le berceau du Psautier huguenot en langue française, avec 18 Psaumes [1, 2, 3, 15, 19, 25, 32, 36, 46, 51, 91, 103, 113, 114, 129, 137, 138, 143] – dont deux avec une mélodie commune, reposant sur des paraphrases, strophiques et rimées, et non „traductions“ littérales – de Calvin et Marot (puis Théodore de Bèze) ; elles sont adaptées à des mélodies respectant la prosodie allemande et la prosodie musicale.

livre de Calvin
Calvin : quelques psaumes & cantiques
Jean Calvin, pour doter son Psaume 36 d’une mélodie, emprunte celle de Matthias Greiter, pour son Psaume 119 : Es sind doch selig alle die… (Strasbourg 1525) correspondant au même Psaume latin : Beati immaculati... Calvin adapte cette mélodie à sa paraphrase du Psaume 36 : En moy le secret pensement / Du maling parle clairement, sans aucune parenté sémantique avec le Psaume 119 de Greiter ; son texte, maladroit, sera rapidement remplacé par celui de Clément Marot : Du maling le meschant vouloir..., mélodie bien connue (cf. indicatif du début de cette émission), encore chantée au XXIe siècle.

Ici s’arrête cet emprunt de Calvin pour le Psaume 36 à une mélodie strasbourgeoise qui véhiculera aussi, d’un côté, le choral luthérien : O Mensch bewein dein’ Sünde gross (O homme, pleure tes lourds péchés), de caractère bien plus méditatif ; de l’autre côté – à partir de 1562, dans le Recueil officiel de Genève – le Psaume 68 : Que Dieu se monstre seulement…, de caractère martial. Après avoir lancé le Psautier à Strasbourg, à son retour à Genève, J. Calvin participera encore à sa réalisation.

Jean Calvin, qui a adapté son Psaume 36 à la mélodie strasbourgeoise de Greiter (Ps. 119 : Es sind doch selig alle die…), n’imaginait sans doute pas que, dans le recueil genevois officiel de 1562, elle véhiculerait aussi le Psaume 68 : Que Dieu se monstre seulement… sur la paraphrase de Théodore de Bèze, Psaume appelé à devenir le chant de ralliement des Réformés et des Huguenots, ainsi que l’identité musicale du protestantisme.

Jean Calvin n’avait-il pas raison en affirmant quasi prophétiquement, dans sa Préface A tous chretiens et amateurs de la Parole de Dieu… (Genève, 10 juin 1543) : « C’est pourquoi, quand nous aurons bien cherché ça et là, nous ne trouverons meilleures chansons, ni plus propres pour ce faire que les Psaumes de David » ?

Les catholiques, depuis le Concile de Vatican II (1962-1965), ont même emprunté des mélodies de Psaumes huguenots, en raison de leur caractère fonctionnel. Quant aux Protestants, ils ont une solide dette de reconnaissance et un impérieux devoir de mémoire vis-à-vis de ce répertoire liturgique multiséculaire, lancé en 1539 à Strasbourg par Jean Calvin.

Indicatif musical : version vocale du Ps. 68 : Que Dieu se monstre seulement
(harmonisation à 4 voix, contrepoint fleuri, mélodie au Ténor : Claude Goudimel)

(Émission du Comité Protestant des Amitiés Françaises à l’Étranger diffusée sur
France Culture, à 8h25, le dimanche 6 septembre, 2009)

par Edith Weber[1]

Professeur émérite à l’Université Paris-Sorbonne

Lettre N°44

Summary : CALVIN AND STRASBURG, THE BIRTH PLACE OF THE HUGUENOT PSALMBOOK

by Edith Weber, emeritus professor at La Sorbonne

Listeners may have recognized the tune of the music recorded on the radio, as it is the musical identification of Protestantism and particularly that of the Reformed people and of the Huguenots. As this is « Calvin’s year » (2009), we will try to know a little better the origin of this music composed in Strasburg.

The French reformer left Basel in Switzerland in 1538 to stay in Strasburg, a free city of the Holy Roman Empire. Martin Bucer who was the local Reformer asked Calvin to take in charge the French-speaking refugees. This is how the true story of the psalm-book began, when the psalms were sung in French: such was the wish of the Reformers who promoted a active participation of the congregation during the assemblies with singing in the common language spoken and understood by everyone.

Calvin also met in Strasburg several reformers, and was acquainted with many local musicians, such as Matthias Greiter, Wolfgang Dachstein, Heinrich Vogtherr; he borrowed many tunes from them. As he was searching to collect texts for the French refugees, he began writing some

paraphrases, in an awkward language which did not help singing. Clement Marot’s texts for the Psalms soon replaced them: they were more adapted to congregation singing.

Jean Calvin edited in 1539 a small book named « Some psalms and hymns set in tunes » to be tested for this purpose. This booklet could be considered as the very origin of the Huguenot psalm-book in French, with 18 psalms. Music composed by Mathias Greiter or a Strasburg tune supported the words by Calvin or better written by Marot. We still sing these hymns with the tunes of that time, like Psalm n° 68 (words by Théodore de Bèze). Psalm n° 68 actually became a rallying song for the Reformed and Huguenots people, as well as the musical identity of Protestantism.

It is interesting that the Roman Catholics since Vatican Council II (1962-1965) have borrowed tunes from the Huguenot Psalms, because of their easy singing… We Protestants are thankful for this very old collection of tunes and words set up by Calvin in 1539.


[1]

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